Peter LIEBERSON


      Compositeur peu célébré en France - où sont rédigées ces pages -, Peter Lieberson (né en 1946) connaît un certain succès en Amérique du Nord, notamment grâce aux commandes répétées de l'orchestre de Boston sous l'impulsion de Seiji Osawa.
     
[Musique de Lieberson]
      Ceci constitue, à notre connaissance, la seule page en français consacrée à Peter Lieberson. (Si ce n'était pas le cas, veuillez accepter de nous en informer en nous écrivant, nous en serions intéressés.)







*  Musique de Lieberson  *

Degré d'innovation
      Peter Lieberson fait partie de ces compositeurs qui parviennent à séduire d'emblée. En effet, il serait illusoire de penser qu'il s'agit d'un novateur incontournable. Le créateur semble aujourd'hui un véritable démiurge qui ouvre des horizons nouveaux. Lui seul a accès aux desseins suprêmes de l'Art, et le public ce doit de suivre cet être de lumière, ce prophète. C'est une tournure d'esprit très liée à notre culture artistique en constante accentuation depuis le dix-neuvième siècle.
      Cet état de fait peut expliquer le relatif désintérêt porté à la musique de Lieberson en Europe. Les grands créateurs sont, du moins de ce côté de l'Atlantique, les novateurs, les pionniers. La découverte apporte une aura qui déteint sur la perception de la qualité des oeuvres. Lieberson n'entre absolument pas dans cette catégorie.




Références et synthèse
      Il ne s'agit pas ici de remettre en cause la validité du mode traditionnel d'évaluation. Seulement, nous précisons que l'intérêt  pour Lieberson ne peut prendre de sens en s'inscrivant dans cette optique.
      Car Lieberson est au contraire farci de références. Les rythmes et les accents sauvages du Stravinsky du Sacre (évident au début du quatrième mouvement de Drala), la suavité de la texture et la douceur dans le traitement vocal, presque fauréennes, l'obsession motivique du Rihm des Jagden und Formen (teinte les références stravinskiennes), la force des couleurs et les grands sauts d'intervalles du Boulez de Pli selon pli, les jeux de timbres véhéments ou suaves à la Prokofiev, les nuances infinitésimales
au sein de structures presque autonomes, comparables à celles de Takemitsu, le lyrisme contemporain hérité de Dutilleux (le troisième mouvement de Drala pourrait en effet s'intituler "Un hémisphère dans une chevelure"), un brin de Messiaen pour  l'unité du coloris, selon les sections, des incursions du côté des spectraux pour l'investigation presque empirique de l'univers sonore, tous ces apports de la musique du vingtième siècle, Lieberson s'en est très évidemment nourri.
      Sans reproduire, certes, mais les références sont à ce point décelables à la première écoute qu'on peut douter qu'aucune d'entre elles ne soit importante dans l'esprit du compositeur. Outre les caractéristiques propres du style de Peter Lieberson, ces similitudes touchent par leur caractère synthétique : il ne s'agit jamais d'études "à la manière de", d'hommages-pastiches, mais plutôt d'une concrétion de figures déjà employées, et révélées très efficaces, au cours du vingtième siècle.




Séduction propre
      Les deux précédents points avaient ainsi autant valeur de description musicale que de précision pour ne pas se méprendre sur l'intérêt de Lieberson. Si l'on attend de l'art, et de la musique contemporaine en particulier, uniquement l'exploration de territoires en friche, mieux vaut passer son chemin. Si l'on est simplement curieux de langages singuliers, on peut tout à fait trouver du contenu dans Lieberson, qui ne se limite pas à une constellation singulière d'idées récoltées et seulement organisées afin de donner une perspective accrue aux découvertes passées.
      Peut-être que ce qui frappe le plus sûrement, dans ce langage très attentif aux structures, souvent des formes chargées de souvenirs, des ostinati délibérément lourds de références, est ce foisonnement d'une générosité incroyable, éclectique sans éparpillement, au contraire d'une concentration remarquablement chatoyante. Sans abuser de lyrisme, sans entreprendre des jeux d'imitation, Peter Lieberson choisit, plutôt qu'une posture de simple conservatisme ou d'un langage dissonnant scolaire, qui l'utiliserait par nécessité stylistique, sans justification réelle quanr au projet de composition, une recherche de synthèse.
      L'intérêt? Certes pas la célébrité qui s'obtient avec l'invention de langages nouveaux, mais à coup sûr une variété d'expression, selon la visée des pièces ou des sections, une gamme de procédés entièrement maîtrisée, saisissantes. L'humanité qui filtre de cette représentation à multiples visages d'un même corpus d'oeuvres est sans nul doute ce que Lieberson a de plus précieux.





Selon les oeuvres... une diversité
       Pour goûter ces instants chaleureux, on préfèrera se plonger dans l'oeuvre pour orchestre. Il n'existe aujourd'hui que peu de disques - une huitaine - publiés, essentiellement de la musique symphonique et de la musique pour piano (plus un opéra). L'oeuvre pour piano, très dépouillée, souffre peut-être, dans ce cadre, d'un manque d'audace : la couleur qui captive à l'orchestre manque, le confort sonore devient par moments plus banal, sans que l'interpellation de chaque instant par la recherche des sonorités, des rythmes ne paraisse autant recherchée que dans le répertoire orchestral.
      Drala, son oeuvre la plus fêtée, et à raison, est sans conteste un fruit heureux du phénomène de concrétion décrit ci-dessus. Chatoyante et d'une généreuse profusion ; alors qu'elle s'inspire de traditions rigides, bien plus humaine qu'altière. La variété de couleurs et de modes d'expression, souvent exprimée par séquences, y est déterminante et même fondamentale pour sa réussite.



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